11 mai 2011

Chapitre 5 ou le chemin parcourru

L’adolescent fixa intensément le carnet qu’il tenait en main.
Avril 1916
Evidemment il n’était pas totalement rempli. A peine au tiers. Il ne pouvait pas se permettre de le garder sur lui. Et même dans un futur proche, il n’aurait pas la possibilité de les conserver dans son bureau : trop dangereux.
Il lui fallait donc un complice. Un complice qui le suivrait jusqu’au bout, jusqu’à leur réussite. Une personne en qui il avait suffisamment confiance pour lui laisser ces carnets, son bureau, son équipe.
Le train cahota doucement.
Après une longue semaine de réflexion il avait du se résoudre à faire un choix. Hawkeye était trop droite et indépendante, elle était également trop occupée par Mustang ; idem pour le reste de l’équipe qui semblait débordée depuis l’accession de leur chef au grade de Général de Brigade.
Le nombre de ses connaissances étant restreinte, et ceux auquel il vouait une confiance aveugle plus encore, le tour avait été vite fait. Il ne pouvait décemment pas confier un si gros travail à Winry qui déjà avait accepté de renoncer à lui pour soutenir Alphonse.
Leur maître aurait pu être un bon choix, si seulement elle ne haïssait pas autant tout ce qui avait attrait à la politique et l’armée. Surtout l’Armée.
Ironie du sort, la personne sur qui il avait arrêté son jugement habitait dans la même région, assez près d’elle.
Le véhicule ralentit perceptiblement et un contrôleur annonça la gare de Dublith.
Edward réunit ses affaires et se dirigea vers les portes.
La ville n’était pas aussi industrialisé que Central mais il régnait tout de même une odeur rance de fumée. Il s’enfonça dans les artères de la ville, sa valise à la main.
Un long frisson d’effroi le parcouru lorsqu’il arriva enfin devant la modeste bâtisse surmonté de l’enseigne « Boucherie Curtis ».
« C’est exactement comme ça que ça va finir… En boucherie »
C’est alors que Meisson l’aperçut.
-Hey ! Mais c’est Edward !
« Ca y est c’est la fin. »
Les épaules basses, il rentra la mort dans l’âme dans la boutique. Après avoir salué le brun il se dirigea vers l’étage. Croisant Sig dans la chambre froide il lui adressa un mouvement de tête et continua jusqu’à l’antichambre de la mort.
Il ouvrit la porte et la trouva là, assise, fixant la rue sans la voir, plongée qu’elle était dans ses pensées. Une couverture dissimulait ses jambes et un châle enserrait ses épaules. Comment croire que cette femme n’avait pas quarante ans.
-Maitre.
Soudain complètement aux aguets, la femme au foyer se retourna et fixa son ancien apprentie avec fureur. Elle fit craquer ses doigts d’un air sinistre et se leva très lentement.
« J’suis mort »
Et le malheureux corps d’Edward Elric fut propulsé par la fenêtre en moins de temps qu’il ne faut pour dire alchimie.
Il lui fallu une demi heure de marche pour revenir.
-Elève indigne ! Tu pensais pouvoir échapper à mon courroux !
C’était un savon monumental, inoubliable. Pire encore que celui qu’il avait reçu quand elle avait appris que son précieux disciple avait intégré le rang d’Alchimiste d’Etat. Sa particularité étant qu’il ne savait pas exactement de quoi il était fautif cette fois. Il ne la laissa pas terminer son sermon. Il était pressé. Il devait simplement lui dire et partir.
-Al est revenu.
-Hein ?
Son regard se radoucit, ses muscles se décontractèrent visiblement.
Il savoura cet instant de paix entre eux puis continua.
-Il a retrouvé son corps.
Un fol espoir la rattrapa.
-Où est-il ?
- A Resembool, il se remet de cinq ans de séparation forcée.
-Pourquoi n’es tu pas à ses côtés dans ce cas ?
Le blond haussa les épaules, tenta d’être calme et flegmatique. Ce qu’il n’était définitivement pas.
-Qu’est ce qu’il s’est passé ?
-Quelqu’un devait vous prévenir.
-Ne me mens pas ! Stupide disciple ! S’il avait juste s’agit de me prévenir un simple coup de téléphone aurai suffit. D’autant que tu n’arbores plus la montre. Racontes moi ce qu’il s’est passé. Immédiatement.
Edward soupira douloureusement. Izumi Curtis avait vraiment un caractère autoritaire. Debout, face à elle, il avait l’impression d’être six ans en arrière : un petit garçon ignorant, orgueilleux qui pensait être plus fort et plus intelligent que Dieu lui-même.
Exactement ce qu’il était.
-Il a oublié.
Un gamin trop fier, disputé par sa presque mère.
-Notre voyage, la pierre, moi. Il les a irrémédiablement perdus.
Si son maître n’était pas déjà assise, elle serait tombée sur son siège.
-L’échange… Tu as fait l’échange sans la Pierre philosophale c’est ça ?
-Je n’avais pas tellement le choix.
Les souvenirs tambourinaient dans sa tête et résonnaient comme mille voix simultanées. Il savait qu’il devait tout lui raconter. Elle le lui avait ordonné mais c’était la première fois, et il l’espérait la dernière, que ces mots sortaient de sa bouche.
-J’ai éradiqué les Homonculus. Pride, Wrath et dans une certaine mesure Greed. Je pense que ça a suffisamment affaibli Father pour que quelqu’un l’achève.
-Je pense que c’était ton père.
-Peu importe. Qui que ce soit il l’a fait et ça a ébranlé la Porte et de ce fait l’Alchimie en général.
-Ce qui explique notre incapacité à en user.
-Et la perte d’Alphonse. Puisque son âme était rattachée grâce à l’Alchimie, mon alchimie, le fait que je la perde l’a irrémédiablement éloigné de l’armure. L’âme et le corps se sont retrouvé devant la Porte et j’ai du récupérer l’Armure…
-Pour la rattacher, oui j’ai compris. Continue.
-J’ai transmuté mon corps.
Il y eu un silence vraiment lourd.
-Tu as quoi ?
-Je me suis servi des matériaux de base d’un corps : le mien.
-Tu es complètement fou ! En plus d’être interdite cette technique est mortelle pour celui qui l’emploi.
-Mais ça a fonctionné. Je ne pensais pas que serai même aussi efficace. Je crois que si je l’avais su je l’aurai fait dès le début. Même si ça n’aurait servi à rien au final.
Ils s‘étaient spontanément criés dessus, l’un essayant de comprendre, l’autre de se faire comprendre.
-Quel a été le prix ?
-L’alchimie. Et pour l’âme c’est Alphonse qui l’a payé. Tous ses souvenirs, ou presque.
-Tu es inapte à…
-L’ironie c’est que je suis passé totalement au travers de la Porte. Je sais donc tout ce qu’il y a à savoir sur ça. Un peu comme Father et Hohenheim.
Izumi regarda son élève avec attention.
-Et vous ? Que vous est-il arrivé ?
Elle se retourna vers ses jambes avec amertumes. Dire qu’un mois auparavant elle courrait à la poursuite d’un psychopathe immortel.
-Lorsque tout s’est arrêté, ce qui m’a guéri à disparu. Je suis simplement tombée.
-Je vois. Je…
Elle l’interrompit d’un geste. Il pouvait la soigner à nouveau mais cette maladie était sa punition. Elle l’acceptait. Tous comme celui qui aurait pu être son deuxième fils qui porterait ses automails jusqu’à la fin.
-Je vais partir. Il me reste pas mal de chose à faire.
La brune fut surprise par ces mots.
-Il y a à Central un stupide Général qui croit pouvoir changer le monde à lui tout seul, se justifia t’il.
Il se détourna et ouvrit la porte dans le but avoué de quitter les lieux, peut-être pour toujours.
-Tu as fait le bon choix Ed.
Il aurait pu fondre en larme à cette seule phrase. Lui qui n’avait pas pleuré pendant six longues années.
-Merci.
La porte se referma doucement.